« La série des grandes nudités consiste en un ensemble de peaux, silencieuses, monochromes. Surfaces de réflexion autant que de profondeur, les quatre tableaux qui la constituent mettent en place la possibilité d’un corps à corps avec celui ou celle qui regarde, qui perd son regard dans ce qui prend l’aspect d’une réplique photographique de la peau, une peau qui miroite, qui a l’air humide, mouillée. »
Louise Déry, El cos, la llengua, les paraules, la pell: artistes contemporains del Québec, 1999, Québec et Barcelone: Musée du Québec et Centre d’art Santa Mònica, p. 169.
« Cette oeuvre consiste en un ensemble de tableaux d’une grande nudité, presque monochromes, semblables à des » peaux silencieuses » qui oscillent entre l’autoportrait et la peinture sociale. Surfaces de réflexion, les tableaux de Grande peau de chagrin mettent en place la possibilité d’un corps à corps avec celui ou celle qui se risque à perdre son regard dans ce qui prend ici l’aspect d’une réplique photographique de bouts d’épiderme. L’accumulation de fines couches d’acrylique appliquées en transparence, souvent avec la main, donne sa carnation à cette chair qui ne s’arrête pas aux bordures du cadre, mais qui semble s’étirer en dehors du champ. »
Marie-Ève Beaupré, Libre > échange. Extraits de la collection de l’UQAM, 2008, Montréal: Galerie de l’UQAM, p. 62.
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« Alors que je lis, le soir, la lumière de la table de nuit rase la peau de ma main droite près du pouce et, soudain, je la vois, ma main-matière. Je ne l’ai jamais remarquée auparavant. Je te dis intérieurement: »Ça y est, je la vois. » […] »
Contrairement à la tienne, ma main n’est pas peinture, au sens de couleurs et de taches, mais plutôt texture. Si elle était peinture, elle serait le plissage de la croûte qui se forme à la surface du pot d’acrylique ou la trame forte de la toile de lin brute.
Anne-Marie Ninacs, «Lovely Life», p. 101, dans Monique Régimbald-Zeiber et al. Les ouvrages et les heures… et les restes, 2020, Joliette, Rouyn-Noranda et Montréal : Musée d’art de Joliette, MA – Musée d’art de Rouyn-Noranda et Éditions les petits carnets, 131 p.
La Nature morte m’a intéressée parce qu’elle était considérée comme un genre pauvre; aussi elle représentait des espaces, des objets, les restes de choses et de gestes appartenant à un univers réservé aux femmes.
Un jour, à l’atelier, j’ai automatiquement déplacé un morceau de ruban gommé usagé, d’un tableau grand et en fabrication, vers un autre tableau plus petit que je voulais faire disparaître sans savoir trop comment. Ainsi, j’ai commencé à enrubanner, emballer, emmailloter ou bander des tableaux qui ne trouvaient pas leur sens dans leur première version.
C’est alors que me suis rendue compte que j’étais, et cela depuis toujours, travaillée par l’idée de « reste ». Des retailles, des bribes, des fragments, des bouts… Des restes pas que dans l’assiette de la peinture mais dans l’Histoire et dans les histoires racontées sur et par des femmes. Ces restes, je ne faisais pas que les représenter ou les évoquer ; ils étaient LE matériau premier, tant conceptuellement que matériellement.
paquet de nerfs
dans l’atelier corps
mains écoutent
on entend presque
– quels sont tes rêves ton histoire
comment as-tu affronté ce à quoi ton nom de femme te consigne
conscrite à quelle tâche
qui as-tu espéré nourri porté attendu consolé chéri habillé perdu aimé et aimé
pour toujours
ta voix
quelle inflexion dans la nuit quand tu appelles
et qui t’a répondu?
Johanne Jarry, dans Anne-Marie St-Jean Aubre, Monique Régimbald-Zeiber et al. Les ouvrages et les heures… et les restes, 2020, Joliette, Rouyn-Noranda et Montréal : Musée d’art de Joliette, MA – Musée d’art de Rouyn-Noranda et Éditions les petits carnets, p. 89.
« Les Paquets de nerfs aux textures raboteuses suggèrent ainsi les vergetures, la cellulite ou la couperose, ces défauts de surface qui prouvent la faillibilité du modèle de la beauté parfaite en préfigurant ce que cette peau dissimule : les entrailles, les tripes, la viande. Tendant vers l’abject, ces œuvres-bandages suintent métaphoriquement de cette substance qui compose notre «centre» – notre intériorité, tant physique que psychologique –, insinuant la violence dont elle est parfois l’objet. »
Anne-Marie St-Jean Aubre, «La commissaire», op. cit., p. 32.
La voix de Nicole Brossard tient une place centrale dans mon atelier. Elle signe, en 1982, un livre qui s’intitule Picture Theory que je continue de trouver beau, étrange et par moment assez agaçant. Elle y dit :
«À la source de chaque émotion, il y a une abstraction dont l’effet est l’émotion mais dont les conséquences dérivent la fixité du regard et des idées. Chaque abstraction est une forme dans l’espace mental. Et quand l’abstraction prend forme, elle s’inscrit radicalement comme énigme et affirmation. Avoir recours à l’abstraction est une nécessité pour celle qui fait le projet, tentée par l’existence, de traverser les anecdotes quotidiennes et les mémoires d’utopies qu’elle rencontre à chaque usage de la parole.»
Ce sont ses mots. J’aime comme elle associe l’abstraction à l’émotion et à la forme.
Pour moi l’abstraction est iconoclaste, littéralement. L’abstraction est partout dans l’atelier. Au cœur de la pensée de la pratique de l’art, elle bouscule, triture, déchiquette, brise, défait les images. Elle est espace de résistance, une sorte de cri, une émotion. Ma peinture se refuse à figurer. La non figuration c’est l’abstraction appliquée à la peinture.
S’abstraire de l’image c’est agir… dans l’atelier.
Quand je sors de l’atelier, je tourne le dos à l’abstraction… Ensuite, j’y reviens.