« l’oeuvre est là. elle se déploie, énorme, seule sur son mur parfait, dans sa lumière
parfaite. pure et impudique, tu la vois pour la première fois en même temps que
tout le monde.
tu trembles, tu as la nausée, tu es terrifiée.
tu ne dormiras plus.
ce pan d’histoire, c’est de la grandeur, du monument au mépris de ce que tu cherchais.
tu cherchais, tu cherchais, tu cherchais,
une intimité, une familiarité, une confidence,
un désir à peindre.
l’histoire et la peinture t’ont rattrapée.
elles ont repris le dessus dans la « tonitruance » de leurs vérités.
c’est impensable.
incrédule et brisée, tu recommenceras ta lecture.
si la vibration, la rumeur, la clameur, le tumulte,
tout ce vacarme visuel n’était que mise à nu.
imprévue et brutale mise à nu des restes de voix de marguerite et avec elle, le
choeur des restes anonymes de voix insoupçonnées de toutes ses petites secrètes,
ses petites cachées, de petites soeurs copistes.
tant de mots, tant de tableaux, tant de noirs de peaux, de blancs de peaux,
tant dessous, tant dessus,
autant comme autant
devant comme dedans.
en passant et incomplètement. »
Monique Régimbald-Zeiber, « Itinéraire de délestage », dans L’Image manquante, Carnet 1, 2005, Montréal: Galerie de l’UQAM, p. 41-42.
« Dans le petit musée attenant à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, un portrait de Marguerite Bourgeoys, morte. Son titre : Le vrai portrait (1700). Il est peint sur toile, signé par Pierre Le Ber. Le fond a le brun sombre d’une terre de nuit. Le vêtement, robe, coiffe et collerette, est noir et blanc, en aplat ; sur la poitrine, une croix toute simple. Le visage et les mains ont le reste de carmin des presque quatre-vingts ans et de la mort. Les mains sont jointes délicatement, presque relâchées. Les yeux sont mi-clos. ….
Ce tableau est la seule représentation du vrai visage de Marguerite Bourgeoys. Elle avait alors presque 80 ans. Ce portrait fut peint immédiatement après sa mort, comme c’était la coutume à l’époque… ».
Monique Régimbald-Zeiber, op. cit.,p. 15.
« À quelques pas du lieu d’exposition de ce portrait fragile et silencieux de Marguerite Bourgeoys, il y a un petit commerce de souvenirs édifiants, images, objets, médailles, quelques brochures et fascicules. C’est là que j’ai trouvé, sur une étagère, un joli petit livre rouge, presque un missel, de ses écrits autobiographiques et de son testament spirituel. »
Monique Régimbald-Zeiber, op. cit.,p. 22.
« Dans l’introduction du petit livre rouge, on lit : »Les Écrits autographes de Marguerite Bourgeoys n’existent pas dans leur forme originale, mais seulement en copies manuscrites. L’authenticité de ces copies est cependant certifiée, quant au texte, quant à l’orthographe. » Par deux fois, en 1768 et puis en 1893, le feu a détruit la maison mère. »Jusqu’en 1768, Les Écrits autographes semblent avoir été conservés intégralement. » En 1768, »[…] la plupart des documents sont détruits, même une partie des Écrits autographes. » En 1893, »Nos archives sont détruites. Ce qui restait des Écrits autographes n’est pas épargné. » En 1878, le tribunal de l’Archevêché chargé de la cause de canonisation »[…] fait exécuter ces copies conformes au texte, à l’orthographe de l’original. […] Les copies étant faites, l’une est gardée sous scellés à la Chancellerie (Manuscrit Montréal I), l’autre envoyée à la Sacrée Congrégation des Rites (Manuscrit Vatican II). » L’incendie de 1893 ayant détruit les Archives, à partir de 1895, les soeurs vont recopier, retranscrire d’après le texte qui avait été gardé à la chancellerie de l’Archevêché. »Les copistes accomplissent leur tâche sous la foi du serment. Après chaque séance de transcription, des prêtres autorisés vérifient les textes et par leur signature, en confirment l’exactitude. »
Marguerite Bourgeoys, Les écrits de Mère Bourgeoys : autobiographie et testament spirituel, no 783, Montréal : Congrégation de Notre-Dame, 1964, p. 10-13.
« En choisissant de copier ces écrits de Marguerite Bourgeoys, je faisais mon travail d’artiste. Je voulais m’approcher de l’intimité, du désir d’un texte malmené par le temps et par mes propres préjugés. En le faisant lentement, au quotidien, dans le parfait silence de l’atelier, je croyais garantir une sorte d’intégrité au texte et à l’esprit du travail de l’artiste. Mais : »Est-il possible de peindre du désir ? » (Jean-Marie Pontévia, La peinture, masque et miroir, p. XIII). »
Monique Régimbald-Zeiber, op. cit.,p. 31.
L’invitation lancée par Barbara Clausen de participer à l’exposition et aux événements de STAGE/SET/STAGE: sur l’identité et l’institutionnalisme a permis d’explorer cette instabilité du dispositif inhérente à l’esprit de cette pièce.
La commissaire Barbara Clausen dit : «L’élément central de STAGE SET STAGE consiste en une structure mobile intitulée Space Set / Set Space, une œuvre collaborative conçue en 2012 par Andrea Geyer et Sharon Hayes. Jouant le rôle d’un espace dans un espace, cette structure créera un cadre architectural et s’adaptera en fonction de toutes les phases et de toutes les œuvres de l’exposition. Space Set / Set Space est un dispositif spécifique au lieu qui offrira une plateforme aux participants, à partir de laquelle performer ou parler d’idées et d’enjeux liés à l’identité et à l’espace, et aux visiteurs, qui pourront s’y avancer pour prendre part au projet, ou rester simplement observateur. »
Enfermer la pièce, la cacher, l’offrir à la performance de Maria Hupfield comme base, socle de paroles, de danse, de revendication, de joie aussi.
… depuis toujours, [je suis] travaillée par l’idée de «reste». Des retailles, des bribes, des fragments, des bouts… Des restes pas que dans l’assiette de la peinture mais dans l’Histoire et dans les histoires racontées sur et par des femmes. Ces restes, je ne faisais pas que les représenter ou les évoquer; ils étaient LE matériau premier, tant conceptuellement que matériellement.
« La désignation de »Filles du roi » vient de Marguerite Bourgeoys et s’applique, selon l’historien Yves Landry, aux quelques 770 filles orphelines ou issues de familles en mauvaise posture ayant probablement reçu l’aide du roi Louis XIV entre 1663 et 1673 pour leur transport et/ou leur établissement dans la colonie de la Nouvelle-France. C’est à partir des fiches descriptives des 768 immigrantes recensées par Landry grâce à l’étude des registres paroissiaux et des minutes notariales que MRZ a réalisé, pour chacune, un «portrait» leur octroyant une identité singulière, alors qu’elles sont généralement présentées de manière indifférenciée, en troupeau. Chaque fiche copiée répertorie: le nom et le prénom, les lieux et les dates de naissance et décès; les noms, prénoms des parents, leur statut (profession, mortalité); la date d’arrivée en Nouvelle-France; les lieu(x) et date(s) d’union(s); les nom(s), prénom(s) et profession(s) du ou des conjoints; le nombre d’enfants; l’aptitude à signer et les avoirs en biens et argent à l’arrivée. L’importance des Filles du roi pour l’histoire du Québec tient à leur taux de fécondité qui a bouleversé la démographie de la Nouvelle-France. Pourtant, on les connaît peu. »
Anne-Marie St-Jean Aubre, Les ouvrages et les heures, Musée d’art de Joliette, 2020.