2002-2003

LES DESSOUS DE L’HISTOIRE: MARGUERITE B.,
LES ÉCRITS

l’oeuvre est là. elle se déploie, énorme, seule sur son mur parfait, dans sa lumière
parfaite. pure et impudique, tu la vois pour la première fois en même temps que
tout le monde.

tu trembles, tu as la nausée, tu es terrifiée.
tu ne dormiras plus.

ce pan d’histoire, c’est de la grandeur, du monument au mépris de ce que tu cherchais.
tu cherchais, tu cherchais, tu cherchais,
une intimité, une familiarité, une confidence,
un désir à peindre.
l’histoire et la peinture t’ont rattrapée.
elles ont repris le dessus dans la « tonitruance » de leurs vérités.

c’est impensable.

incrédule et brisée, tu recommenceras ta lecture.

si la vibration, la rumeur, la clameur, le tumulte,
tout ce vacarme visuel n’était que mise à nu.
imprévue et brutale mise à nu des restes de voix de marguerite et avec elle, le
choeur des restes anonymes de voix insoupçonnées de toutes ses petites secrètes,
ses petites cachées, de petites soeurs copistes.
tant de mots, tant de tableaux, tant de noirs de peaux, de blancs de peaux,
tant dessous, tant dessus,
autant comme autant
devant comme dedans.

en passant et incomplètement.

Monique Régimbald-Zeiber, extrait de « Itinéraire de délestage », dans L’Image manquante, Carnet 1, 2005, Montréal: Galerie de l’UQAM, p. 41-42

Acrylique sur toile
426 tableautins de 25,4 x 20,3 cm chacun
Les dimensions de l’oeuvre sont liées aux conditions de présentation.

Collection

Musée national des beaux-arts du Québec
(2004.583)
Don anonyme

Historique d’exposition

2006-2007 – Acquérir pour grandir, exposition de collection au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), Québec (16 nov. 2006-15 avril 2007), commissaire: Anne-Marie Ninacs

2004 – « Nous venons en paix… » — Histoires des Amériques, exposition de groupe au Musée d’art contemporain de Montréal, Montréal (28 mai-5 sept.), commissaire: Pierre Landry.

Publication

Monique Régimbald-Zeiber, L’Image manquante, Carnet 1, 2005, Montréal: Galerie de l’UQAM et Éditions les petits carnets, 95 p.

Pierre Landry, Johanne Lamoureux et José Roca, « Nous venons en paix… » – Histoires des Amériques, 2004, Montréal: Musée d’art contemporain de Montréal, 223 p.

 

UN PORTRAIT COMME UN MASQUE MORTUAIRE

Dans le petit musée attenant à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, un portrait de Marguerite Bourgeoys, morte. Son titre : Le vrai portrait (1700). Il est peint sur toile, signé par Pierre Le Ber. Le fond a le brun sombre d’une terre de nuit. Le vêtement, robe, coiffe et collerette, est noir et blanc, en aplat ; sur la poitrine, une croix toute simple. Le visage et les mains ont le reste de carmin des presque quatre-vingts ans et de la mort. Les mains sont jointes délicatement, presque relâchées. Les yeux sont mi-clos. ….

« Ce tableau est la seule représentation du vrai visage de Marguerite Bourgeoys. Elle avait alors presque 80 ans. Ce portrait fut peint immédiatement après sa mort, comme c’était la coutume à l’époque… ».

Monique Régimbald-Zeiber, extrait de « Itinéraire de délestage », dans L’Image manquante, Carnet 1, 2005, Montréal: Galerie de l’UQAM, p.15

À quelques pas du lieu d’exposition de ce portrait fragile et silencieux de Marguerite Bourgeoys, il y a un petit commerce de souvenirs édifiants, images, objets, médailles, quelques brochures et fascicules. C’est là que j’ai trouvé, sur une étagère, un joli petit livre rouge, presque un missel, de ses écrits autobiographiques et de son testament spirituel.

Monique Régimbald-Zeiber, extrait de « Itinéraire de délestage », dans L’image manquante, Carnet 1, 2005, Montréal: Galerie de l’UQAM, p. 22.

 

Dans l’introduction du petit livre rouge, on lit : « Les Écrits autographes de Marguerite Bourgeoys n’existent pas dans leur forme originale, mais seulement en copies manuscrites. L’authenticité de ces copies est cependant certifiée, quant au texte, quant à l’orthographe. » Par deux fois, en 1768 et puis en 1893, le feu a détruit la maison mère. « Jusqu’en 1768, Les Écrits autographes semblent avoir été conservés intégralement. » En 1768, « […] la plupart des documents sont détruits, même une partie des Écrits autographes. » En 1893, « Nos archives sont détruites. Ce qui restait des Écrits autographes n’est pas épargné. » En 1878, le tribunal de l’Archevêché chargé de la cause de canonisation « […] fait exécuter ces copies conformes au texte, à l’orthographe de l’original. […] Les copies étant faites, l’une est gardée sous scellés à la Chancellerie (Manuscrit Montréal I), l’autre envoyée à la Sacrée Congrégation des Rites (Manuscrit Vatican II). » L’incendie de 1893 ayant détruit les Archives, à partir de 1895, les soeurs vont recopier, retranscrire d’après le texte qui avait été gardé à la chancellerie de l’Archevêché. « Les copistes accomplissent leur tâche sous la foi du serment. Après chaque séance de transcription, des prêtres autorisés vérifient les textes et par leur signature, en confirment l’exactitude. »

Marguerite Bourgeoys, Les Écrits de Mère Bourgeoys : autobiographie et testament spirituel, no 783, Montréal: Congrégation de Notre-Dame, 1964, p. 10-13.

 

En choisissant de copier ces écrits de Marguerite Bourgeoys, je faisais mon travail d’artiste. Je voulais m’approcher de l’intimité, du désir d’un texte malmené par le temps et par mes propres préjugés. En le faisant lentement, au quotidien, dans le parfait silence de l’atelier, je croyais garantir une sorte d’intégrité au texte et à l’esprit du travail de l’artiste. Mais : « Est-il possible de peindre du désir ? » (Jean-Marie Pontévia, La peinture, masque et miroir, p. XIII).

Monique Régimbald-Zeiber, extrait de « Itinéraire de délestage », dans L’image manquante, Carnet 1, 2005, Montréal: Galerie de l’UQAM, p. 31

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